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LES GRANDS PENSEURS Edmund Burke

Edmund Burke a passé la majeure partie de sa maturité à s’occuper des affaires politiques, et sa pensée politique reflète cette expérience. En effet, l’accent mis par Burke sur l’importance de la tradition et de l’histoire, ainsi que ses questions sur l’effet néfaste de points de vue purement théoriques en politique ont conduit certains à le rejeter comme non philosophique. En fait, comme nous le verrons, les écrits de Burke abordent sérieusement les grands thèmes de la philosophie politique, bien que presque toujours dans le contexte de questions particulières de politique et de choix. En tant que jeune homme, il a d’ailleurs écrit un ouvrage important sur l’origine et la signification de la beauté.

Les écrits de Burke ont également eu un effet pratique important. Son opposition réfléchie aux extrêmes de la Révolution française a fait de ses Réflexions sur la Révolution en France une source pérenne pour comprendre cet événement. Sa discussion des partis politiques dans ses Réflexions sur la cause des Mécontentements actuels est une source fondamentale pour comprendre le sens du gouvernement moderne des partis. Et son travail a été l’une des sources du conservatisme américain d’après-guerre qui a abouti à l’élection de Ronald Reagan.

Les défauts de Notre Nature

Burke suit Aristote et précède Tocqueville en identifiant les associations comme fondamentales à l’épanouissement humain. Pour Burke, la meilleure vie commence dans les « petits pelotons » — famille, église et communauté locale – qui orientent les hommes vers des vertus telles que la tempérance et le courage. C’est dans le local et le particulier que nous sommes capables de vivre justement. Considérant que la vie politique se déroulait mieux dans un ordre d’habitudes et de présomptions particulières — en particulier l’ordre de la Constitution britannique — Burke résistait aux tentatives de certains de ses contemporains d’étudier l’homme comme s’il pouvait être considéré isolément, en dehors de tous les pièges de la société. Ce type de spéculation politique, qui pour Burke est le plus dubitatif pratiqué par Rousseau, postule un « état de nature” original, dans lequel « l’homme naît libre”, mais est partout enchaîné.

Burke pensait au contraire que les hommes naissent contraints par les traditions de leurs ancêtres; les réformes irréfléchies qui découlent de conceptions théoriques abstraites sont donc dangereuses. Les partisans d’un nouvel âge de « lumière et de raison” qui ont fomenté la Révolution française risquent de nous nuire en arrachant « la draperie décente de la vie. »Ce faisant, ils nient l’excellence présumée des gentilshommes régnants, le contrat implicite entre le présent, le passé et le futur, une place appropriée pour la prudence exceptionnelle d’hommes tels que Burke lui-même, et une appréciation décente de la religion. Les partisans spéculatifs et théoriques de la révolution politique ne se considèrent pas, eux et nous, comme redevables d’une tradition plus vaste qui comprend l’art, la littérature, les rituels et les coutumes établis au cours des millénaires. Sans ces stations de chemin, qui sont « nécessaires pour couvrir les défauts de notre nature nue et frissonnante”, il est difficile de doter les hommes d’une plus grande dignité — elle-même un objectif central des Lumières. Les attaques souvent très rhétoriques de Burke contre la Révolution française et d’autres projets politiques néfastes étaient au service de ces structures fondamentales d’excellence et de stabilité.

Les limites de la science politique

En 1789, les Français avaient presque complètement éliminé leur ordre politique, social et culturel hérité — celui des rois, des aristocrates et du clergé connu sous le nom d’ancien régime — et tentaient de recommencer le monde. Leur méthode, qui visait à comprendre l’homme sur la base de la seule raison, ou de la raison telle qu’ils la comprenaient déraisonnablement, était un anathème pour Burke, qui a écrit que « La science de la construction d’un commonwealth, de sa rénovation ou de sa réforme, est, comme toute autre science expérimentale, à ne pas être enseignée a priori. »Les changements utiles à l’ordre politique ne doivent pas commencer par des spéculations abstraites, mais par une compréhension sérieuse des limites imposées par les conditions existantes. La civilisation est trop complexe pour être comprise, et surtout pour être sécurisée, par la seule abstraction. L’opinion, les préjugés, les habitudes, les faits et événements individuels et le hasard sont les éléments nécessaires de la vie politique. L’autorité ne peut être assurée par des arguments théoriques.

D’autant plus que manifeste la Révolution française, la spéculation abstraite débridée sacrifie le bonheur individuel à l’avenir d’une humanité abstraite et dissout les contraintes vertueuses qui contrôlent la licence et l’immoralité individuelles. Il faut sécuriser et améliorer la vie britannique que l’on a, plutôt que de gouverner selon une pensée spéculative dont le résultat pratique sera désastreux. ”Des schémas très plausibles, avec des commencements très agréables, ont souvent des conclusions honteuses et lamentables », écrit Burke. Cette remise en question des grands plans théoriques qui a conduit Burke à clarifier le milieu de l’activité pratique n’est pas seulement un avertissement immédiat sur la Révolution française, mais est également un signal de contribution à la réflexion sur la politique, reprenant des éléments de la compréhension d’Aristote de la prudence et de la pratique, bien que d’un point de vue différent et finalement moins théorique.